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La Bulle d'Air
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29 décembre 2008

Le snobisme dans l'art

Un ami, qui est peintre, vient de me raconter une conversation qu'il eut avec d'autres peintres et qui devint très vite aigre. Les uns (dont mon ami) soutenaient que l'artiste doit demander à la nature les éléments de son œuvre et qu'un tableau doit représenter une montagne, une femme, une personne, n'importe quoi, mais quelque chose. Les autres affirmaient qu'un peintre ne doit rien représenter et qu'un peintre trouve tout dans son esprit. Vous savez qu'on appelle les premiers peintres figuratifs, les seconds peintres non figuratifs ou abstraits.
        Pour moi, je pense qu'un homme a le droit de peindre comme il l'entend. Si son instinct lui commande d'être abstrait, pourquoi pas ? Beaucoup de beaux ornements, dans les époques les plus anciennes, étaient faits de lignes, de cercles, de courbes ondulantes. les faïences arabes sont décorées d'arabesques non figuratives et il y en a de parfaites. Là où je cesse de comprendre, c'est quand mon homme se met en colère parce qu'un autre peintre veut continuer à représenter des femmes, des fleurs ou des fruits.
        Il n'est pas possible qu'un type de peinture qui a produit depuis des siècles d'admirables tableaux cesse soudain d'avoir le droit d'exister parce qu'un groupe a décidé de lancer un type de peinture différent. C'est cette intolérance que je n'admets pas et qui est un des plus fâcheux caractères de notre époque. On le retrouve en littérature, en politique, en toutes choses. La mode nous mène et non le goût, ni le jugement. Tout se passe comme si le monde commençait aujourd'hui. C'est faux, et nous le savons bien. Le monde est ce que l'ont fait des milliers d'années de civilisation. Renier ce qui nous précéda ? Cela voudrait dire : retour à la sauvagerie, au dénuement, à la terreur primitive. Bien plus. Il n'y a pas de commencement. L'homme primitif lui-même était un résultat, non un début. Abolir le passé n'est pas seulement absurde, c'est irréalisable. Parce que le passé est en nous.
        Repartir à zéro ? Cracher sur les tombes ? Tout démolir pour tout reconstruire ? Oui, certaines générations ont fait ce rêve, en lettres, en arts en politique. Les jeunes romantiques de 1830 ont dit : " À bas Racine ! À bas les perruques ! " Et puis quoi ? Est-ce que Racine en est mort ? Point du tout. Vingt ans plus tard une tragédienne de génie, Rachel, avait remis Racine à la mode, cependant que le drame romantique tombait plus bas que tout, ce qui était injuste aussi.
        On me dira : "Où voulez-vous en venir ? Vous ne pouvez empêcher ce mouvement de bascule. Il est possible que nous ayons tort de préférer la musique de jazz à celle de Beethoven, mais c'est comme ça. Il est possible que nos romans noirs ne ressemblent pas à ceux qu'aimait votre génération, mais c'est comme ça. Il est possible que nos mœurs politiques, nos slogans violents vous déplaisent, mais il faut en prendre votre parti. Soyez de votre temps. "
        Où je veux en venir ? À ceci. Être de son temps ne signifie pas seulement : être seulement de son temps. Cela n'aurait aucun sens. Être de son temps intelligemment, c'est percevoir à la fois ce que ce temps a d'original et ce qu'il a de commun avec tous les temps
        Être de son temps, c'est vivre à la pointe de l'histoire, mais en se souvenant qu'il y a derrière nous ce prodigieux, cet infini passé. Être de son temps, c'est comprendre que ce temps ne peut être isolé de ce qui le précéda.
        Où je veux encore en venir ? À ceci : soyez prêt à étudier avec bienveillance toute nouveauté ; mais ne soyez pas snob. Qu'est-ce que le snobisme ? C'est l'attitude de ceux qui feignent d'aimer les choses non parce qu'ils les aiment vraiment, mais parce qu'ils croient flatteur de les aimer. Aimez ce que vous aimez. Osez le dire. Et n'ayez pas peur, en art ou en politique, de ne pas être à la mode. Elle changera.

André Maurois (1885-1967)
Épreuve anticipée – juin 1975 – séries générales

Suite à notre conversation mon cher papa, c'est un peu tout ça que je voulais dire, en mieux dit. Je ne suis pas snob car j'écoute ce qui me fait vibrer.J'aime mon époque et je respecte profondément les autres époques qui forcément ne sont que des sources d'inspiration pour les artistes de maintenant. Aimer les artistes contemporains, ce n'est pas nier les artistes classiques, c'est aimer son temps avec la vibration du passé et l'envie de connaître son présent (voire son avenir) aimer ce qu'on est dans ce qu'il y a de meilleur et dans ce qu'il y a de pire: du "beau" et du "pas beau" en somme puisque la notion d'esthétique me semble trés personnelle.

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Commentaires
P
Non tu n'es pa snob. Je parlais de snobisme pour des personnes n'y connaissant rien mais avançant des thèses sur "le moderne" seulement pour faire bien et je ne parlais pas de toi.<br /> Par contre je pensais, à tort, que tu aimais l'art moderne au détriment "de l'autre" ce qui n'est pas le cas après t'avoir lue. je suis rassuré. <br /> Ton papa ... qui t'aime.
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